Mercredi 18 Juin, 2H30

Martin n'arrivait pas à se rendormir.

Son petit frère parlait dans son sommeil. En réalité, cela n'avait rien de surprenant : Lino parlait tout le temps. Tellement tout le temps que Lino le « saoulait », comme disait papa. Surtout lorsqu'il parlait la nuit et le réveillait.

La pleine lune brillait si fort derrière les rideaux qu'elle dessinait d'inquiétantes silhouettes sur les murs décorés de motifs enfantins. Cela dissuada Martin d'effectuer une opération punitive, le lit de son frère étant tout de même à quatre bons mètres du sien… 

Il avait finalement opté pour la méthode dite du « bombardement » et cherchait un projectile adapté.

C'est alors qu'il se figea.

Son cœur se mit à battre la chamade.

Il entendait distinctement une autre voix que celle de Lino.

Une voix grave. Rocailleuse et sans âge…

Une mauvaise voix qui parlait à son frère…

Sous la fenêtre de la chambre, une lueur qui n'était pas celle de la lune ni celle de la veilleuse. C'était une couleur changeante comme une flamme qui vacille sous l'effet d'un courant d'air. La voix provenait de cette lumière.

Caché sous ses draps Martin ne pouvait voir la tête momifiée aux paupières cousues. Il assistait interdit et transit d'effroi à l'étrange dialogue.

« Cthan'g Annaon mhnoq

Chtan'g mhraq'sh annaon

Phan'q Annaon »

Disait la tête.

"Tan'g Anaon noq

Tan'g raq'sh anon

Fanq anon »

Récitait Lino.

Il répétait maladroitement  comme toutes les autres nuits sans parvenir à comprendre, il recommença une fois encore sans réussir à reproduire les mots. La tête le rassura :

- Tu y arriveras mon enfant, j'ai confiance en toi.

Martin aurait voulu avoir le courage de sauter hors de son lit pour courir vers la chambre des parents et hurler de toutes ses forces.

Il ne pouvait bouger, n'osait même pas mettre ses mains sur les oreilles pour ne plus entendre. Il fermait les yeux si fort qu'il avait mal.

- Je vais te raconter comment Qoahab devint le Roi des Dieux

- Elle est longue cette histoire ? J'ai sommeil moi ! Gémit l'enfant.

- Ne voudrais-tu pas être Roi toi aussi un jour ? Tu es déjà mon prince… Et tu sais que tu n'as rien à craindre de moi, je suis ton ami et serviteur. Je veillerais toujours sur toi.

Martin à ces mots commença à se décrisper. La jalousie et la rivalité fraternelle lui donnèrent la témérité nécessaire pour ouvrir enfin la bouche. Il avait la gorge sèche :

- Lino t'as pas le droit ! C'est moi l'aîné ! dit-il.

La lueur disparue soudain, un souffle froid et glacial l'avait soufflé. Le crâne de momie s'en fut aussi, laissant derrière lui un murmure que seule une âme pu entendre.

« Garde toi mon prince… »

- Je vais le dire à maman, c'est pas juste, tu peux pas être roi ! c'est moi le grand frère ! Gronda Martin.

- Peuh c'est malin tu lui as fait peur, il est parti, t'es méchant !

Les sanglots étaient venus tous seuls, Lino voulait certes dormir, pourtant cette voix lui manqua de manière si brusque. Une grande tristesse l'envahit et il se mit à pleurer plus fort.

- Maman !

- C'est pas juste ! C'est toi le méchant ! Renchérit Martin.

Sybille et Marc entrèrent en trombe dans la chambre des enfants.

Cette nuit là, ils dormirent tous ensemble dans le salon, se serrant fort les uns contre les autres, Sybille chanta une berceuse… Et personne ne prononça plus une seule parole jusqu'au matin.

Le petit déjeuner fut une épreuve de plus pour le couple désemparé. Car Lino fit une étrange demande à sa mère :

- Je pourrais aller la voir ?

- Voir qui mon chéri ?

- Tu sais bien, Elle, la tête. Si j'allais aussi chez elle, mais quand il fait jour, peut-être que tu aurais moins peur. Elle t'aime bien tu sais. On ira tous les deux, s'te plait maman.

Elle ne savait que dire, que répondre à une telle requête énoncée de façon si innocente. Elle cherchait du regard le soutien de son mari, qui baissa les yeux sur son bol de café.

Il était abattu, en colère et si frustré de ne pouvoir rien faire d'autre que d'appeler encore le numéro de Sol. Il fallait qu'il vienne c'était urgent.

Ce fut Martin qui laissa exploser sa fureur dans un flot de paroles :

- C'est pas juste ! Je vous déteste tous ! C'est pas mon frère, je le déteste ! Je veux qu'il dégage d'ici ! Faut l'abandonner ! Il a pas le droit d'emmener maman ! C'est ma maman, c'est pas la sienne ! j'veux qu'il crève ! Hurla-t-il en s'enfuyant dans sa chambre.

Marc ne réussit pas rattraper son fils, qui s'enferma en plaçant une chaise sous la poignée de la porte.

Les coups d'épaule n'y firent rien, ni même les supplications de sa mère.

L'enfant criait toujours, et insultait son frère de tous les jurons qu'il connaissait. Il donnait des coups de pieds dans le mur sous la fenêtre, la douleur augmentant sa rage.

Pendant que Sybille essayait de calmer son petit, son mari ne savait plus que faire. Aller chercher des outils pour démonter la porte, ou faire le tour de la maison pour passer par la fenêtre.

Et personne ne s'occupa plus de Lino.

« Cthan'g Annaon mhnoq

Chtan'g mhraq'sh annaon

Phan'q Annaon »

Il avait enfin réussi.

« C'est une formule magique pour quand tu auras de la peine,  avait dit la voix.

- Et ça fait quoi ?

- Je viendrais pour te consoler et t'aider. »

Il avait besoin d'aide.



10/12/2007
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