Une nouvelle aube sur le rempart.

Une nouvelle aube s'était levée sur le rempart. Et encore une fois, un seul homme pour regarder le soleil se lever, un seul pour guetter, un seul pour défendre. Il ne croisait personne sur sa ronde pour l'interroger, pour lui demander la raison de son obstination. Il était prêt et résolu, croyant en sa mission, même s'il avait oublié qui lui avait confié et pourquoi. Les jours qui passaient, les semaines, les mois ne changeaient en rien sa force de caractère. Trois années s'étaient écoulées et il avait simplement enfoui dans sa mémoire tout ce qui aurait pu le faire dévier, le faire douter… Son nom, son âge, sa mission.

Sa vie était devenue une lente et morne déambulation.

Tout en haut des murs crénelés, sans qu'il sache vraiment pourquoi, il marchait sans cesse, observant l'horizon en l'attente de rien. Au début, il s'en souvenait vaguement, il s'arrêtait tantôt au coucher du soleil pour ne reprendre qu'à l'aube, parfois un peu plus tard. Mais depuis quelques temps – il ne pouvait dire avec précision quand cela avait commencé –, il continuait de marcher sur les remparts, à la nuit tombée. Il contemplait la voûte céleste et s'émerveillait de la constance des étoiles dans le ballet cosmique. En spectateur averti, il attendait avec impatience le moindre événement et se réjouissait d'étoiles filantes et de constellations.


10/01/2008
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Un matin comme les autres

Un matin comme les autres, son regard croisa une fissure dans le mur de pierre blanche. Elle balafrait le créneau d'une cicatrice inquiétante et disparaissait de « l' Autre Coté ». Son cœur se mit à battre plus fort dans sa poitrine mais il avança, déterminé, inspecter la fissure et vérifier le rempart.
Ce n'était pas une fissure…
Un frisson parcourut son échine.

C'était une véritable faille qui courait du créneau jusqu'au pied du rempart !
Il se demanda depuis combien de temps cette faille était apparut et quels étaient les risques que le rempart s'effondre. Une sinistre inquiétude s'empara de lui avant qu'un sombre remords ne lui cède la place :
N'était-il point coupable de négligence, lui qui avait laissé le rempart se fêler ?

Comme tant d'autres fois auparavant son regard interrogateur se posait sur la Ville. Il suppliait les rues désertes, les maisons aux portes fermées de lui donner une réponse.
« Ohé, en bas ! Une faille sur le mur Est ! Vous m'entendez ? »
Rien, comme toujours.
« Vous ne pourrez pas rester là éternellement ! », hurlait-il en courant sur le chemin de ronde.


11/01/2008
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un nouvelle aube

Une nouvelle aube s'était levée sur le Rempart. La signification même de cette simple phrase échappait aux habitants de la Ville. Le Soleil n'était plus qu'un mot dont le souvenir évoquait la chaleur, la lumière et le Ciel étranger.
Trop habitués aux murmures et aux paroles basses et aux longs silences, ils avaient été surpris par les cris, bien avant d'en saisir le sens. La monotonie est un couvercle pour l'angoisse, et la monotonie était rompue.

Quelque part au cœur de la Ville, une femme sans âge allait sans regret ouvrir une porte trop longtemps restée fermée.

Des chuchotements s'élevèrent sous les toits, des caves nauséabondes aux greniers à lambris, mais nul n'osa aller contre la vieille femme…


Il s'était arrêté dans une petite rue sans nom, non loin de l'église sans cloche. La rue était étroite et mal pavée, plongée dans une quasi obscurité. Mais il aperçut un porche faiblement éclairé, et pour toute tremblante qu'elle fut, cette lumière était le signe qu'il attendait : quelqu'un lui répondait !
Il avança pas à pas, incrédule et inquiet à la fois, jusqu'à ce qu'il arrive enfin devant la porte entrouverte. A l'intérieur, la vieille femme attendait, sans bouger.
« Madame… », murmura-t-il, hésitant. « Le rempart s'est fendu d'une bien vilaine faille… »
– N'est-ce point le destin du rempart que de se couvrir de fissures ? », répliqua la femme. « N'est-ce point le destin d'un mur que de se lézarder, le destin de la fleur que de se faner, le destin de la peau que de se rider ? »
Il dévisagea la vieille à la peau parcheminée et la flamme de la bougie qui trônait sur une cheminée sans feu se mit à vaciller doucement. Elle lui rappelait quelqu'un ou quelque chose, mais il n'arrivait pas à se souvenir qui ou quoi…
– Ce n'est pas une fissure comme les autres… », reprit-il d'une voix chevrotante. « Celle-là menace de faire s'écrouler le rempart ! »
– N'est-ce point… », commença la vieille en tournant lentement son visage vers lui.
– Il suffit, vous et vos idioties ! », pesta-t-il en se retournant soudain. « Vous pouvez tous mourir ! »
Il s'enfuit en courant dans les ruelles de la ville, criant et insultant ses habitants, ces fantômes indifférents qui se terraient comme des rats ! Il leur dit sa rancœur et toutes les choses qu'il leur reprochait, des plus insignifiantes aux plus importantes à ses yeux. Il crachat sur les portes et les volets clos depuis tant d'année, il pissa dans les réserves d'eau, décrocha les porte-bonheur des porches couverts de lierre. Puis, une fois sa colère apaisée, il s'en retourna vers le rempart d'un pas traînant jusqu'à ce que le mur blanc apparaisse tel qu'il l'avait quitté.


12/01/2008
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Inquiêtude

Peut-être s'était-il inquiété inutilement ?, songea-t-il alors. La femme avait sans doute raison : les failles vont aux murs comme les rides aux vieux…, se dit-il laconiquement avant de se mettre à rougir au souvenir de son emportement irrévérencieux. Il haussa les épaules avant d'admirer à nouveau le mur est, reconnaissant envers ce dieu qui lui accordait un répit, lorsqu'un frisson parcourut son échine.
Il percevait une ombre au tableau, un détail insignifiant qu'il devinait plus qu'il ne le voyait, mais qui présageait néanmoins le pire. Il pressa le pas jusqu'au rempart, gravit les marches quatre à quatre et se précipita vers le mur est pour inspecter la faille.

Une brèche immonde et arrogante se pavanait en lieu et place du créneau balafré. Ce dernier gisait lamentablement de « l'Autre Coté », en un monceau de vulgaires gravats où une famille de serpents avait déjà trouvé refuge.
Il tomba à genoux et se mit à pleurer…

Lorsqu'il eut finit de verser des larmes et de pousser des cris, la voûte céleste et ses myriades d'étoiles avait remplacé le ciel diaphane. Il s'assit à coté de la brèche, sécha ses joues d'un revers de manche et s'installa dans la contemplation de la roue céleste.
Il sentait qu'il ne pourrait pas empêcher le malheur de s'abattre sur le rempart. Et il sentait que ce drame en augurerait un autre, plus terrible encore. Il ne craignait pas vraiment pour les habitants de la Ville – il n'avait que faire de ces imbéciles et ce souciait peu de leur sort… –, mais plutôt pour lui même. Il sentait confusément que son sort était lié à celui du rempart, mais il ne pouvait l'expliquer.
Il baissa la tête et son regard croisa la brèche. Il en eut un haut-le-cœur et ferma ses yeux, cherchant en lui-même une réponse à ses questions.

13/01/2008
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L'Impasse

Pendant ce temps, dans une impasse étroite et obscure de la vieille ville, un petit groupe de vieillards s'extirpait d'une antique masure. Ils étaient six, tous plus vieux les uns que les autres, marchant avec peine, même aidés d'un bâton et soutenus par leurs serviteurs. Ils portaient des vêtements aux couleurs fanées et passés de mode. Leurs manières, qu'ils voulaient distinguées, leurs auraient valu, en société, sarcasmes et ricanements tant ils faisaient peine à voir, mais personne ne pouvait assister à ce spectacle tragi-comique puisque les membres du conseil étaient les seuls survivants…
Cette nuit-là, poussés par la peur ou un quelconque instinct de survie, ils avaient enfin osé quitter leurs tanières. Et maintenant, ils allaient venir frapper à la porte de la vieille Azura…

Guerlain était le Chef du Conseil et le plus mal en point : il se voyait chauve, édenté, voûté, ridé et perclu de rhumatismes dont les accès le rendaient méchant et irascible. Pourtant, malgré son âge, il gardait l'œil vif et sa voix rauque n'hésitait pas. Jamais il ne vacillait, jamais il ne doutait.
« Ouvre Azura ! », entama-t-il d'un ton poli. « Ton protégé est devenu fou ! S'il te plaît écoute nous. »
– Il n'est pas mon protégé. », répondit sèchement Azura. « Mais entrez donc, puisque vous vous êtes enfin donné la peine de venir me consulter. » Guerlain le premier franchit le seuil, suivit d'Agur le Borgne, Elam le Sage, Torsang, Drama et son frère Oreste. « Prenez place, asseyez-vous à l'Ancienne Table. Vous n'êtes pas venus depuis très longtemps… Messieurs du Conseil. »
Ils étaient là, installés tous les sept autour de la table de marbre. Tellement poussiéreuse, sale et ébréchée, encombrée de livres usées, d'instruments bizarres, de cartes, de parchemins. A la lueur de la bougie qui trônait sur la cheminée, Guerlain prit la parole :
« Le Dernier Gardien a failli. Il a laissé le rempart se fissurer. Il n'a rien fait pour empêcher cela, il a échoué. »
– Et il nous a insulté ! », interrompit Torsang. « Que vas-tu faire la Vieille ? »
– Vous avez la mémoire bien courte messieurs. Pourtant, rien de ce qui c'est passé ne s'oublie facilement… A moins qu'on ne le veuille vraiment… » Les Conseillers rougirent et baissèrent les yeux tous ensemble. « Vous l'appelez le Dernier Gardien… », reprit-elle, « Certes, je vous l'accorde, le Dernier il est… Mais Gardien, jamais ! Vous rappelez-vous lorsqu'il est arrivé, il y a bien longtemps, avec les siens, leurs machines, et leurs livres et leurs sciences étranges. Ne vous ont-ils pas proposé leurs services et leurs connaissances ? N'est-ce point Lui et les siens, les Bâtisseurs, qui ont construit pour vous cette muraille sans porte, ce Rempart infranchissable ? » Les yeux durs et inquisiteurs elle foudroyait chacun des hommes présent. « Auriez-vous oublié la raison pour laquelle ils n'avaient pas construit de porte ? Auriez-vous oublié pourquoi en une nuit ils furent tous assassinés sur votre ordre ? Et si vous ne vous en souvenez pas, alors je vais vous rappelez comment un seul a réussi à échapper à la foule meurtrière que vous avez lancé sur eux… »


15/01/2008
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